Bannis de presque toutes les villes du monde,
les trams ont trouvé à Bâle un sanctuaire. Ils y sont protégés, choyés et
aimés. Dans chaque rue, ou presque, on les voit se frayer un chemin avec dignité,
hauts sur pattes, un peu guindés, un peu raides et cyclopéens. Ils se tordent
et grincent dans les virages, contraints par le tracé des rails, ils sont comme
le col dur qui fait une marque rouge au cou du fonctionnaire zélé. Ils portent
fièrement cette robe d’un vert uni, ni clair, ni foncé, ni français, ni
allemand, un simple vert qui n’est que vert.
A bord de leurs wagons on croit avoir
rapetissé, et on réalise le rêve de l’enfant en nous qui voyageait dans son
train miniature lancé à toute vitesse sur le sol de sa chambre. Le souffle
sifflant de la propulsion électrique nous berce, les roues sans gomme crissent à
chaque aiguillage et nous secouent un peu. On voit la ville de haut, on se sent
au-dessus des activités quotidiennes qui agitent la rue. Les rails et les
caténaires nous assurent une totale priorité sur les autres occupants de la
chaussée. On a l’esprit libre pour contempler le paysage qui défile.
On admire
les vieilles maisons collées les unes aux autres, les encadrements des fenêtres
en pierre rouge de la Forêt-Noire tranchant sur le vert alpin des volets. Le
vent glace les quais du Rhin. Dans la fontaine du Theater, les sculptures mobiles
de Tinguely sont prises par les glaces.
On se demande alors d’où vient cette
impression que les villes irriguées par les trams sont plus paisibles et qu’il
y fait bon vivre. Peut-être parce que c’est à un petit voyage en train que nous
convie le tram, et non à un trajet en transports
en commun.
Février 2012